Tuesday, August 22, 2006

Le Liban des autres

Anis et Adnane. Deux jumeaux d’à peine plus qu’un an vivent à Londres avec Rajaa, leur mère, marocaine de nationalité. Ils sont pleins de vie et ont connu le Maroc plus que leur pays, l’Angleterre, puisque après leur naissance, Rajaa les a emmené chez ses parents à Casablanca pour partager les tâches avec sœurs, cousines et autres personnes qui ont trouvé en ces quelques semaines avec ces deux anges calmes, beaux et souriants, des moments de plaisir et se sont vu s’y attacher d’une manière particulière.

Cet attachement, Aziz, beau frère de Rajaa, l’a vécu plus que quiconque. Les deux bambins avaient l’habitude de commencer à s’agiter dès que Aziz franchi le pas du rez-de-chaussée de la maison, quand bien même ils se trouvaient au deuxième ! Ils criaient et s’impatientaient pour que Aziz vienne rapidement les prendre dans ses bras, pousser des rires à très haute voix pour les faire rire, les prendre en photos ou les filmer pour la nième fois avec son téléphone portable.

Aziz a tellement mal vécu leur départ pour Londres qu’il ne voulait presque plus rentrer à la maison à cause de cette idée ne plus les retrouver remplissant la maison avec leurs éclats de rire. Il n’arrêtait pas d’en parler à longueur de journée. C’est dure la séparation, très dure. Toutefois une autre séparation est, jusqu’au jour d’aujourd’hui, vécue par Anis et Adnane. Celle de leur père. Oui, je n’ai pas encore parlé de Bichar. Ce commercial de téléphones mobiles au centre de Londres, père des deux petits et mari de la très gentille et souriante Rajaa.

Bichar, jeune anglais de naissance et de nationalité, musulman, londonien d’origine bangladeshi. Il mène une vie tranquille partagée entre une passion pour les gadgets électroniques dernier cri et une autre pour les produits de luxe hors de prix qu’il adore offrir à sa femme, ses proches et amis. Ce jeune homme ne compte pas, ne veut pas compter et considère que tout ce qui peut faire plaisir à un proche vaut beaucoup plus que son prix. Et si Bichar est connu à Londres pour une chose, c’est qu’il n’hésite devant rien pour faire plaisir ou rendre service. C’est sa devise et il en est convaincu.

Une bande de copains décide de partir à Bierut pour passer quelques jours dans cette merveilleuse ville. Ils invitent l’ami de tout le monde, Bichar. Le voyage commence bien, de belles balades, très beau pays, des gens très sympas. Mais les copains ne sont pas toujours ceux qui l’on croit.

En acceptant de porter les cartes de crédits de ses copains sans même les vérifier et, pis encore, aller à la banque chercher de l’argent pour eux, Bichar se fait tout simplement coffrer pour détention de fausses cartes de crédit. Et ce n’est que le début. Une descente de la police libanaise à l’hôtel et des passeports font leur apparition. Le délit est grave, la police n’est pas anglaise, les droits des suspects le sont encore moins. Les choses se corsent pour Bichar qui ne sait plus où donner de la tête.

Il réussit à rentrer en contact avec Rajaa, sa femme qui s’affole et qui entreprend de longs et éprouvants pourparlers téléphoniques avec un avocat libanais qui a une gourmandise ostentatoire de Livres Sterling qui dépasse de loin sa capacité à démêler les liens de Bichar, désormais entérinés, avec ses ‘copains’ de voyage par les PVs de police locale.

Bichar pleure au téléphone, fait pleurer sa Rajaa, qui elle-même fait pleurer ses proches à Casablanca. Aziz ne peut s’empêcher d’en vouloir à Bichar sa naïveté, mais surtout le sort de Anis et Adnane. Aziz n’arrête pas de penser à ces deux anges en les regardant sur son téléphone sans arrêt.
L’avocat qui habite le sud Liban trouve un moyen pour débarrasser Bichar des conséquences de sa naïveté. Londres respire et Casa avec. Quelques jours encore. Oui, l’avocat en veut encore de ces billets à l’effigie de sa majesté Elisabeth. Oui, il a finalement trouvé un arrangement avec monsieur le juge. Oui, dans une semaine Bichar sort de l’obscurité et de la famine dont il a fait connaissance pour la première fois de sa vie. Ouf, Rajaa respire et retrouve un sourire. Non pas son sourire habituel qui ne décolle jamais de son visage, mais un autre, tout petit.

L’avocat aspire les derniers billets. Bichar se prépare à sortir de sa geôle, à repartir vers son pays, à un état d’esprit nouveau qui sera plus raisonnable. Il se dit ‘plus jamais ça’, ‘plus jamais cette confiance’. La responsabilité est différente, sa moitié et ses enfants ne doivent en aucun cas revivre une chose pareille. Jamais. Et voilà, la décision est tombée. Tout est en place. Londres prépare le retour de l’absent, car Bichar sort exactement le 12 juillet et prend le premier vol Bierut - Londres.

Mais ce jour commence tôt et de manière insoupçonnée. Eh oui. Israël attaque le sud Liban. Non, personne ne bouge. Personne ne sort, ni rentre d’ailleurs. Ni Rajaa, ni personne, ne croit ce qui défile à la télé en boucle. Allô, l’avocat amateur de Livres ? Désolé, il est parti voir s’il reste des ponts pour monter vers le nord. Non, mais vous rigolez ? Le temps s’arrête de tourner pour beaucoup de gens.

Puis d’autres questions s’invitent aux débats sans fin sur le sort de Bichar. Et si la prison est bombardée, comment ils vont faire ? Y aura t il quelqu’un pour venir en aide à ceux restés enfermés? Si tout le monde fuit vers le nord, qui donne à manger aux prisonniers ? Y a-t-il des lois internationales spéciales pour les prisonniers civils ? Et encore plus de questions, de larmes, de scrutation de bulletins d’informations de tout genre, de désespoir.

Anis, Adnane et Rajaa continuent à attendre leur bien aimé, Bichar. Sans contact avec lui depuis le début des hostilités. Les consulats et ambassades sont occupés par les civils libres. Les prisonniers (à tort ou à raison) c’est une autre histoire.

Mon cœur est avec les trois. Avec Bichar. Je lui souhaite de s’en sortir et de retrouver sa famille à Londres. J’espère que ses proches garderont espoir, que cette sale guerre prendra rapidement fin, non seulement pour Bichar et sa famille, mais pour tous ceux qui en souffrent.

P.S. : L’histoire racontée ci-dessus est vraie. Les noms de toutes les personnes sont changés par respect aux intéressés.

Aziz, mon ami, j’espère que ce texte consolera ton chagrin pour ces deux enfants qui ont eu tant d’influence sur toi. Je l’ai écrit pour témoigner de l’amour que tu leur portes. Puisse Dieu aider leur père à s’en sortir et sa femme à affronter son sort.

UPDATE : Parait que Bichar quitte le Liban en septembre, que Anis et Adnane ont commencé à marcher. Les retrouvailles seront certainement particulières…

3 comments:

Houdac said...

Emouvant ton texte...mais ça je l'avais déjà dit.
J'espère que ça va vite s'arranger...

Anonymous said...

Merci kamal,

j'espère aussi que ça va s'arranger
really touched by your fine delicate text

Anonymous said...

salut,
je suis franco marocaine et je vis au Liban j ai ete tres touchee par ton texte bien que le lisant un peu tard en tt cas si je peux aider en quoi que ce soit je le ferais avec grd plaisir...mes amities